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Rôle agronomique n°3 : la nutrition des végétaux

Je vous dois cet article depuis le mois de juin, mais suite à mon retour du Vietnam qui fut assez mouvementé, j’ai laissé de côté cette tâche. Je corrige enfin cette négligence avec ce texte sur le troisième rôle agronomique de la vie des sols : la fourniture de nutriments aux végétaux, article qui fait suite aux trois premiers postés sur le sujet: selon vous, quels sont les rôles agronomiques de la vie des sols ? rôle agronomique n°1 : la transformation des matières organiques et rôle agronomique n°2 : la structuration des sols.
Voici un thème qui touche directement la question de la fertilisation : l’agronomie du XXème siècle a été bâtie sur le mythe de la fertilisation chimique basée essentiellement sur trois éléments : l’azote (N), le phosphore (P) et le potassium (K), le fameux trio NPK qui résonne désormais dans le langage agronomique comme la sainte trinité dans celui de la religion chrétienne.
En effet ces éléments sont très importants pour les plantes : l’azote est un constituant des protéines, de l’ADN…, le phosphore entre dans la composition de l’ATP et de l’ADP et de certaines protéines (les fameuse lécithines), participe à la mise à fruit… et le potassium enfin régule l’absorption de l’eau du sol par les racines, active certaines enzymes…
Non, ce que je mets ici en question, ce n’est pas l’importance de ces éléments, mais la manière de les amener aux végétaux. Travailler avec la vie permet d’entrevoir des pistes pour améliorer le prélèvement de ces éléments par les plantes uniquement grâce à la vie du sol.

Fixation biologique de l’azote atmosphérique

Déjà évoqué dans l’article « l’azote dans tous ses états », la principale entrée de l’azote dans le monde vivant est due à des bactéries qui se nourrissent de l’azote de l’air en le transformant en ions ammonium (NH4+) utilisable plus ou moins directement par ces mêmes bactéries ou par les plantes avec lesquelles elles vivent en symbiose.
Ces bactéries vivent selon plusieurs modes de fonctionnement :
–    Certaines, comme les Azotobacter ou les Clostridium (cyanobactérie typique des rizières) se nourrissent des matières organiques du sol, elles participent à augmenter la teneur en azote total du sol, azote qui deviendra accessible tôt ou tard pour une plante ;
–    D’autres vivent au voisinage immédiat des racines, voire à l’intérieur des végétaux et se nourrissent directement de produits issus de la photosynthèse, c’est ce qu’on appelle la fixation associative, l’azote qu’elles fixent est disponible pour les végétaux après la mort de la bactérie ;
–    Certaines enfin, et c’est la voie la plus efficace de transfert d’azote depuis l’atmosphère vers la biosphère, vivent en symbiose avec des végétaux au sein de nodules qui se forment sur les racines. C’est le cas par exemple des bactéries filamenteuses (actinobactéries) du genre Frankia qui vivent en symbiose avec des végétaux ligneux tels que les aulnes, les argousiers, les filaos… Et c’est surtout le cas des rhizobium qui forment une symbiose extrêmement importante au niveau planétaire : la symbiose légumineuses-rhizobium.

Mycorhizes

J’ai déjà parlé de cette symbiose entre végétaux et champignons dans un article qui leur est consacré. Les champignons mycorhiziens à arbuscule (MA), qui vivent en symbiose avec l’immense majorité des végétaux cultivés, sont d’une aide très précieuse pour alimenter les végétaux en nutriments peu solubles et donc difficile d’accès pour ces dernières. Il s’agit notamment du phosphore et du zinc (élément qui entre dans la composition d’enzymes et d’hormones de croissance et qui aide à la synthèse de la chlorophylle).
D’autres champignons, les champignons ectomycorhiziens, qui vivent en symbiose avec des espèces d’arbres tels que les chênes, les pins, les hêtres, les bouleaux…, ont également une action importante sur la nutrition en azote de leurs arbres hôtes notamment en allant chercher cet élément directement dans la matière organique du sol.

Activité de la pédofaune
La pédofaune joue un rôle clé dans la fragmentation et  la décomposition des matières organiques fraîches (voir rôle agronomique n°1). A l’instar de tout les autres animaux de la planète, ceux de la pédofaune concentrent l’azote issus de leur nourriture dans leurs tissus. Leurs cadavres et leurs déjections reviennent donc à une transformation en fumure animale des matières organiques d’origine végétale qui forment la majorité des matières organiques fraiches qui arrivent au sol.
L’action de micro-organismes sur ces cadavres et excréments libère de azote assimilable par les végétaux.

Libération d’azote et autres nutriment dans la rhizosphère
Afin de voir les élément minéraux essentiel à son métabolisme disponible à proximité immédiate de leurs racines (la zone du sol justement appelée rhizosphère), les plantes ont recours à un processus ingénieux : elle font de l’élevage de micro-organismes ! Pour ce faire, elles libèrent directement dans le sol des composés organiques qui nourrissent ces derniers, ce qu’on appelle la rhizodéposition. A première vue, c’est de l’énergie gâchée, mais en y regardant de plus près, il s’avère que les micro-organismes nourris par ces composés sont en réalité utilisés par la plante pour se nourrir.
Dans les années 80, une scientifique américaine, Mariane Clarholm, a mis en évidence que du blé cultivé sans engrais mais avec des bactéries et des amibes prédatrices de bactéries assimilait trois à quatre fois plus d’azote qu’un blé qui poussait avec les seules bactéries.
Voici l’explication de ce phénomène : la plante libère dans le sol via la rhizodéposition des composés riches en carbone et pauvre en azote, ces composés sont immédiatement consommés par les bactéries qui, pour équilibrer leur alimentation, doivent aller chercher l’azote dans le sol environnant, essentiellement sous des formes organiques non assimilables telles quelles par les végétaux. Ces bactéries sont ensuite la proie d’amibes. L’azote qui composait la bactérie est utilisé pour un tiers par l’amibe, un autre tiers rejoint le stock de matière organique du sol et le dernier tiers et rejeté sous forme ammoniacale à proximité immédiate des racines. Cet ammonium est alors absorbé par la plante soit tel quel, soit après nitrification.

schéma de l’aide à la nutrition azotée des plantes liée à l’activité des bactéries et amibes de la rhizosphère. Schéma issu de Gobat et al. 2010, le Sol Vivant.

L’activité bactérienne de la rhizosphère permet également la mise à disposition d’autres éléments, en particulier le phosphore et le fer, mobilisés grâce à l’activité de bactéries qui vont chercher ces éléments soit dans les minéraux, soit dans la matière organique.

La vie du sol : un engrais naturel ?
Peut-on dire pour autant que la vie du sol représente un engrais naturel ? La réponse est à la fois oui et non.
En effet, lorsque des éléments sont amenés dans le sol par l’activité notamment bactérienne, comme dans le cas de fixation biologique de diazote ou de la libération de nutriments depuis la matière minérale, ces apports sont en effet assimilables à des engrais car l’activité biologique fait entrer dans le système sol/plante des éléments qui n’en faisait pas partie.
En revanche, lorsqu’il s’agit de libération de nutriments depuis la matière organique du sol (cas des prélèvements mycorhiziens, ou de la mise en solution de l’azote par la chaîne alimentaire rhizodépôt-bactérie-amibe ou encore du phosphore contenu dans les matières organiques), il s’agit de nutriments qui sont déjà contenus dans le système sol/plante car ils ont déjà transité par les végétaux ou les organismes du sol avant d’être intégrés à la MO et remis en solution par l’activité bactérienne.

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Les mycorhizes : quand végétaux et champignons s’associent pour le meilleur !

Ce soir, j’ai envie de vous parler d’un sujet qui me tient particulièrement à cœur et qui n’est pas encore très connu du monde des jardiniers amateurs. Il s’agit de la symbiose entre les racines d’une plante et un champignon : la mycorhization. Depuis 2006 je me passionne pour ce sujet qui n’a pas finit de m’étonner et de me fasciner. J’en avais d’ailleurs fait le sujet de mon intervention lors du colloque BRF de Lyon en février 2007. Mais sans plus tarder entrons dans le vif du sujet !

Les mycorhizes dans l’histoire du vivant

L’histoire des mycorhizes débute il y a plus de 450 millions d’années, au Dévonien. Il semblerait que la symbiose mycorhizienne ait été indispensable à la colonisation des continents par les végétaux ! A cette époque il s’agissait de la symbiose entre des champignons archaïques, les gloméromycètes, formant des mycorhizes dites arbusculaires (MA) ou endomycorhizes (j’y reviendrai) et des végétaux également archaïques, de l’embranchement des bryophytes (mousses…). Plus tard ces champignons s’associèrent successivement à des fougères et des prêles puis aux premiers conifères à la fin de l’ère primaire. A cette époque la végétation était encore cantonnée aux terres alluviales meubles, le restant des surfaces continentales étant encore le domaine réservé des lichens.

Les fructifications au premier plan appartiennent à un champignons ectomycorhizien qui vit en symbiose avec le pin maritime en arrière plan.

Puis l’évolution du vivant suivant son cours, une nouvelle symbiose apparu : les ectomycorhizes (EcM) au système enzymatique beaucoup plus puissant que les premières. De nombreux gymnospermes (conifères) s’adaptèrent à cette nouvelle symbiose pour aller conquérir les les surfaces continentales non alluviales, alors rocheuses et dépourvues de végétation.

A la fin de l’ère secondaire apparurent les premières plantes à fleurs (Angiospermes) qui durent elles aussi choisir entre EcM (cas des chênes, hêtres, bouleaux, noisetiers…) et MA (cas des plantes herbacées, des érables, frênes… et de tous les arbres tropicaux). Certaines toutefois n’ont jamais choisit et forment les deux symbioses (cas des peupliers par exemple), d’autres en ont inventé une autre (cas de certaines éricacées – myrtilles, rhododendrons -, des orchidées…), et enfin certaines se sont purement et simplement affranchit de la symbiose mycorhizienne et n’ont jamais besoin d’un champignon symbiotique (cas des Brassicacées et des Chénopodiacées).

Actuellement, les « vielles » MA concernent encore 85% des espèces végétales ! Malgré son grand âge, cette symbiose reste une des plus grandes réussites du vivant ! Les EcM concernent seulement 5 % des végétaux mais occupent de grandes surfaces dans les forêts tempérées et surtout boréales.

Les mycorhizes au jardin

Au potager, il existe toute une diversité depuis des plantes très dépendantes de la mycorhization (légumineuses, carottes…) jusqu’à des plantes non mycorhiziennes. Ces dernières sont surtout les Brassicacées (choux, navets, radis, moutarde…) et les Chénopodiacées (épinards, betteraves, blettes, quinoa…). Toutes les plantes mycorhiziennes du potager forment des MA.

Les arbres fruitiers sont pour la plupart endomycoriziens (MA) (pommiers, poiriers, pruniers, cerisiers, noyers…). Quelques uns toutefois forment des EcM, comme les noisetiers et les châtaigniers.

Parmi les plantes d’ornements, si la plupart des herbacées sont endomycorhiziennes (MA), c’est plus partagé en ce qui concerne les ligneux. Par exemples, érables, frênes et ifs sont endomycorhiziens, alors que chênes, pins et tilleuls forment des EcM.

Des mycorhizes pourquoi faire ?

Quels est donc l’intérêt pour ces végétaux de former une symbiose avec un champignon ? Dans ce qui suit, je vais surtout m’attarder sur les MA qui sont les plus fréquentes au jardin, mais tout ceci est en grande partie vrai pour les EcM.

Le premier avantage du mycélium des champignons est d’être beaucoup plus fin que les racines. Du coup il peut aller chercher de l’eau et des nutriments dans des pores extrêmement petits, multipliant ainsi par au moins 10 le volume de sol exploré par la racine ! Il est de plus très performant pour mobiliser des nutriments très peu mobiles comme le phosphore et le zinc. Il représente donc une aide souvent indispensable pour permettre à la plante d’accéder à ces éléments.

Les champignons MA aident aussi la plante à lutter contre ses adversaires, qu’il s’agisse de champignons parasites ou même d’insectes herbivores !

Et comme si cela ne suffisait pas, les gloméromycètes (groupe auquel appartiennent tous les champignons MA) produise une substance appelée glomaline qui structure le sol alentour, le rendant ainsi plus favorable au développement de la végétation.

En d’autres termes le champignon mycorhizien sert à la plante à la fois de mineur, de traiteur, de médecin, de vigile et d’ingénieur en aménagement du territoire… qui dit mieux ?

En juste retour de ces services, les plantes, en bonnes cuisinières écolo (elles fonctionnent à l’énergie solaire), nourrissent leur partenaire fongique avec des sucres élaborés avec soin lors de la photosynthèse.

Comment cultiver avec les mycorhizes ?

 

Pour bien comprendre comment les utiliser avec profit au jardin, voyons d’abord ce qui perturbe le développement voire la survie de ces champignons :

  • En premier lieu les engrais phosphatés, en effet, un des principaux apports du champignons mycorhizien est de fournir du phosphore à la plante. Si le sol en est saturé, la plante n’a aucune difficulté à aller chercher cet élément et ne prend donc plus la peine de nourrir ses mycorhizes qui disparaissent peu à peu. Notez que cela est vrai que les engrais soit synthétiques ou organiques !
  • Le travail du sol qui brise le mycélium et enfoui les spores dans des zones peu favorable à leur développement.
  • La monoculture de plantes non mycorhiziennes (colza, moutardes, betteraves, choux, épinards, mais aussi lupins…) qui, surtout si elles sont trop bien désherbées, coupent les champignons mycorhiziens de leur source de carbone.
  • Les pesticides et en particuliers les fongicides, même si la plupart de ces produits ne tuent pas directement les champignons mycorhiziens, leur usage est d’un effet négatif marqué sur les populations.

Les pratiques qui sont favorables au bon développement de ces champignons et donc à leur actions bénéfiques sur vos cultures sont donc :

  • une fertilisation phosphorée très réduite ;
  • un travail du sol minimal, voire nul ;
  • une couverture du sol pendant des périodes aussi longues que possible avec des végétaux vivant (couverts végétaux) comprenant une proportion importante de plantes mycorhiziennes : par exemple en mélangeant à vos engrais vert de moutarde avec une légumineuse (fèverole, vesce, pois, fénugrec…) ;
  • un mode de culture sans pesticides ;
  • il est également possible d’inoculer vos plantes avec des spores de champignons mycorhiziens du commerce, vous trouverez par exemple des inoculum endomycorhiziens (MA) sur le site solvivant.fr.

Voilà donc un outil majeur de compréhension du système sol-plante directement applicable à votre pratique du jardinage sol vivant ! Je vous invite à laisser vos commentaire ci dessous pour me poser toute question, remarque, témoignage relative à ces merveilleux champignons ! A tout de suite !