Christophe Gatineau nous a lancé courant avril un ebook gratuit et préfacé par Xavier Mathias. Pour ce faire ils ont repris un thème déjà évoqué dans ce blog : les buttes et la permaculture.
Je ne présente plus Christophe qui a publié maintes fois sur ce blog et qui est l’auteur de nombreux ouvrage, en particulier les deux derniers sur deux groupes d’organismes essentiels au fonctionnement de nos écosystèmes : les vers de terre et les abeilles, cf. ci-dessous.
Je reproduis avec l’aimable autorisation de Christophe Gatineau, cet article qu’il vient de publier dans son blog le jardin vivant. Si je reproduis à l’identique cet article (je crois que c’est la première fois que je fais cela) c’est pour plusieurs raisons :
– Tout d’abord il m’a consulté et posé quelques questions avant de le poster (je suis d’ailleurs cité dans l’article) ;
– Ensuite parce qu’il pose ici des questions qui ne sont pas assez débattues, à mon sens dans le jardinage bio et la permaculture où la butte commence à s’ériger en dogme.
Là encore, je vous invite à partager en bas de cet article, votre expérience et votre point de vue par rapport à ce qu’écrit Christophe dont je partage le point de vue sur ce sujet.
Je la laisse la parole à Christophe :
La butte de culture ou la culture sur buttes est devenue une figure de la permaculture en France, comme un signe de reconnaissance et d’appartenance à une tribu ; un symbole si fort que beaucoup d’adeptes croient que la culture sans but, c’est cultiver contre la nature !
Et on peut lire sur le web : « La culture sur buttes est un principe fondamental en permaculture. »
Ou sous la plume du journaliste de Rue89, Thibaut Schepman : « La butte, une combine épatante du jardinier bio et paresseux. »
Vue en coupe d’une butte contenant du bois. Mark, Flickr, Creative Commons.
À ce sujet, Claude Bourguignon explique dans une vidéo :
Les buttes, c’est beaucoup de travail. Alors pourquoi faire compliqué quand on peut faire simple en déposant la matière organique à la surface… C’est plus reposant !
Faire des buttes, c’est bien en zone sahélienne, mais chez nous, il faut vraiment avoir envie de se casser les reins pour rien…
Quant à Moilamain, un des phares de la permaculture en France, il soutient que les buttes ont été greffées par hasard à la permaculture par Emilia Hazelip dans le courant des années 80 !
En parallèle à ses activités de maraîchage, Émilia dispensait des stages d’introduction à la permaculture pendant lesquels son jardin en butte servait de support à l’illustration des principes de la permaculture (sol non travaillé, fertilité créée par les plantes…)
Et l’amalgame permaculture = culture sur butte est sûrement né dans ce contexte.
Et quand je lui pose la question : la butte élève-t-elle la permaculture ?
Clairement : non ! Très sincèrement, la culture sur butte est un détail de peu d’importance pour ceux qui ont une bonne connaissance du concept de permaculture « inventé » par Bill Mollison.
Beaucoup réalisent des buttes façon Forrer qu’ils appellent butte de permaculture… Mais ils ne connaissent pas grand-chose aux mécanismes du sol et de la fertilité. Ils réalisent des buttes bourrées de matières organiques sur des terrains déjà fertiles… Et l’amalgame perdure, renforcé par une vidéo présentant la méthode de Philip Forrer qui enterre du bois pourri dans ses buttes.
La grande bêtise de l’agriculture, c’est de labourer et mettre la matière organique sous les racines. Donc le temps que les racines arrivent, c’est minéralisé.
Première leçon : ne jamais enfouir de la matière organique dans un sol, la nature nous le dit.
Et que fait-on dans une butte de permaculture ?
On enfouit la matière organique.
La technique du labour consiste à mettre la matière organique dans le sous-sol et on ne peut pas avoir de décomposition de la matière végétale en profondeur parce qu’il faut de l’oxygène.
Traditionnellement, les buttes de culture étaient nourries par l’apport régulier de matière organique fraîche déposée à leur surface. À l’inverse, elle est enfouie profondément en permaculture comme dans un labour.
De plus, ces buttes modernes sont édifiées sur des bois de récupération type palettes, bois vert, bois pourri ou troncs d’arbres alors que traditionnellement, le bois était proscrit parce qu’une butte auto-fertile imite l’écosystème forestier.
Observons le fonctionnement d’une forêt.
La matière organique tombe sur le sol puis est transformée en humus par les organismes de surface avant d’être entraînée dans les profondeurs du sol par les eaux pluviales, où les éléments nutritifs seront aspirés au passage par les racines des arbres pour se nourrir. (À noter qu’ils se nourrissent de leurs propres déchets transformés !)
Mais quand les éléments nutritifs sont déjà dans les profondeurs du sol, ils sont entraînés par les eaux encore plus profondément dans le sol, hors d’atteinte des racines des plantes !
La butte de culture, cette technique agricole ancestrale et universelle pour cultiver les zones humides est un pur produit du bon sens paysan, détournée aujourd’hui par l’ignorance et ses croyances.
Ainsi, quand j’ai vu de mes yeux une enseignante internationale en permaculture me montrer sur photos qu’elle avait fait couper des arbres avant de faire recouvrir leurs troncs de terre avec un bulldozer au Moyen-Orient, pour faire en toute bonne foi, des buttes fertiles… c’est con, y’a pas d’autres mots, c’est une connerie sans nom.
Pour commencer, la butte est toujours une réponse esthétique ou mécanique au milieu. Et pour continuer, la construction de la butte dégrade toujours le sol en mélangeant tous les horizons. Après, il faut le temps d’aggrader ce qui est dégradé par l’apport de matière organique à sa surface.
Quant aux bois enterrés, Gilles Domenech, microbiologiste et spécialiste du Sol-vivant, prévient :
Si le bois se trouve dans une zone mal oxygénée de la butte, il va participer à précipiter la chute du taux d’oxygène du fait de l’activité des micro-organismes décomposeurs, il y a localement un risque accru d’acidification et d’hydromorphie, ce qui n’est favorable ni à l’activité biologique ni à la fertilité…
Et d’ajouter :
Il serait intéressant de mesurer quelques années après le potentiel redox et le pH de ces buttes. Car si le bois est enfoui à 40 cm et plus, je crains qu’on arrive très vite à l’anoxie car la structure du sol n’est jamais grumeleuse sur une telle épaisseur… »
Claude Bourguignon :
L’humus est fabriqué en surface grâce au travail des champignons et de la faune épigée, et les argiles sont fabriquées en profondeur par l’attaque des racines des arbres au contact du monde minéral.
Parce que le sol, cette partie de la Terre où prospèrent les racines du monde végétal et que j’appelle la racino-sphère, n’était pas au départ de la Terre contrairement à une idée reçue ! Ce sol nourricier est né conjointement avec le développement du monde vivant.
Pour conclure, existe-t-il un seul avantage à enfouir la matière organique dans une butte comme dans un labour ?
– Non : lire maj du 30 sept (en bas de page).
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ÉPILOGUE
Les modes passent et les dégâts restent.
La butte est à la mode comme le labour profond pour des sols propres. Souvenons-nous que si aujourd’hui on laboure jusqu’à 40 cm de profondeur, pendant des millénaires et jusqu’au siècle dernier, on ne retournait pas la terre et le labourage se limitait à sa couche très superficielle.
Le BRF est également à la mode mais « si on continue, nous allons avoir plus de problèmes que de bénéfices. Ce n’est pas un paillage et, utilisé régulièrement, il intoxique les sols parce qu’il faut plusieurs années pour qu’ils le digèrent » dixit Lydia Bourguignon.
Aujourd’hui, nous connaissons les limites du BRF dont le but premier n’est pas de nourrir le sol mais de stimuler son activité biologique et sa flore mycologique ; le BRF étant du bois vert déchiqueté et mélangé à la couche très superficielle du sol pour offrir le gîte et le couvert aux champignons. Mais enterré et faute d’une teneur en oxygène suffisante, le BRF va intoxiquer le sol parce que les champignons ont besoin d’air pour respirer. Et dans les buttes de permaculture, le bois est enterré.
Mise à jour du 30 septembre 2015
Au sujet de l’analogie faite entre le labour et les buttes de permaculture.
Faut-il l’enfouir ou pas ? C’est la seule question qui vaille pour profiter au maximum de tous les bénéfices de la matière organique.
1 – Pendant des millénaires, le labour n’a pas retourné la terre = matière organique sur le sol. Et pour nourrir les buttes de culture = matière organique déposée à sa surface.
2 – Aujourd’hui, le labour retourne la terre = matière organique enfouie profondément dans le sol. Et les buttes de permaculture = matière organique enfouie profondément.
3 – Pour des sols vivants et une agriculture soutenable et écologique, la Recherche scientifique a prouvé que la matière organique devait rester sur le sol ou dans sa couche superficielle. C‘est dans cette perspective que j’ai utilisé l’image du labour.
Notre ami Christophe Gatineau, lance, avec l’Association de Recherche sur l’Autonomie Alimentaire, une enquête pour mieux connaître les pratiques jardinières des permaculteurs (trices), agro-écologistes et adeptes de l’agriculture naturelle ou bio, avec une évaluation de leur autonomie alimentaire.
Pour plus d’informations sur cette enquête, je vous invite à lire son article de présentation de l’enquête.
et pour accéder au formulaire, c’est ici : Remplir le formulaire
Encore un livre sur la permaculture…– En effet, la littérature sur le sujet est nombreuse parce que le marché est porteur… Hormis quelques rares, tous racontent à peu prés la même chose !
Et le vôtre sera différent ! – J’ai attendu plus de 30 ans avant de publier sur le sujet parce que l’horloge de la Terre et de la Nature ne tourne pas à la même vitesse que la nôtre. Elle est très lente et pour nous les êtres humains, c’est difficile d’avoir du recul. Donc il faut pendre son temps parce que comme pour un bon vin, le temps affine et mature…
C’est un problème de manquer de recul ? – Le recul permet d’avoir une vision globale : c’est le seul bénéfice de l’âge !De la même manière, quand vous êtes à vélo, il est conseillé de regarder autour de vous plutôt que de rouler la tête dans le guidon…
Brièvement, quel était l’objet du premier ?– L’objet du premier volume était de débroussailler le terrain et de contextualiser la permaculture par rapport aux sources de l’agriculture.
Aux sources de l’agriculture !– La raison est simple : la permaculture est à sa naissance « un système d’agriculture pérenne » dixit Bill Mollison ; même si aujourd’hui, elle a évolué. Et avec ce nouvel ouvrage (la permaculture de 1978 à nos jours), je m’étends de la naissance du mot à ces deux courants qui font la permaculture actuelle : l’historique appuyé sur la permanence de l’agriculture et le moderne basé la conception.
Est-ce important pour vous de publier sur ce sujet ?– Oui car c’est avant tout, la publication de mes travaux de recherche sur la permaculture et l’agriculture, mais également sur les savoirs anciens et indigènes. Mon intérêt pour cette discipline et les vieux savoirs remontent à la fin des années 70 quand j’étais encore au lycée agricole…
Quelle est l’erreur la plus courante en permaculture ?– Comme pour l’agriculture, s »imaginer que c’est facile. Qu’il suffit de prendre un livre de recettes pour reproduire… Sur le papier ça paraît très simple, c’est après que ça se complique, sur le terrain.
Quelle est votre plus grande joie ? – Des retours positifs et encourageants comme il y a quelques jours : recevoir un mail de Terre et Humanisme où l’un des auteurs du manuel des jardins agroécologiques m’écrit son enthousiasme et me dit qu’il n’a jamais autant ri à la lecture d’un livre sur le jardinage,
ou apprendre que mon livre a été cité comme une référence dans un lycée agricole, ou encore lorsqu’un lecteur m’écrit parce que j’ai bouleversé ses appris… Tout cela m’a encouragé à écrire ce second volume.
Je reconnais qu’en lisant ce livre, je n’ai pas vraiment compris à qui s’adressais l’auteur ni dans quel but. Je me suis senti un peu démuni en le refermant, comme si j’avais écouté une réflexion approfondie sur un thème sans que je puisse rien en faire… Pourtant la réflexion sur l’agriculture en général, son évolution, sur la place de la permaculture qui, selon Christophe, a toujours existé et qui est en fait une redécouverte de qu’a toujours été l’agriculture.
Je vous partage aujourd’hui deux vidéos qui donnent sur son livre un point de vue complémentaire de ce qu’il écrit dans le livre. En plus on voit aussi des images de son jardin !
La première est une vidéo d’une interview réalisée par Moilamain, lui même formateur en permaculture à l’écocentre du Périgord :
La seconde est une vidéo courte et très professionnelle réalisée par l’éditeur :
Si vous avez lu l’ouvrage ou si vous le découvrez à travers ces vidéos, vos commentaires sont les bienvenus pour lancer le débat et continuer ici la discussion !