Une question qui m’est très souvent posée est de savoir si telle ou telle essence est utilisable sous forme de BRF pour amender le potager. IL est vrai qu’on peut lire de par le net toutes sortes de recommandations qui interdisent tour à tour les résineux, les chênes, les châtaigner, les peupliers, les noyers, les mimosas…
Je souhaite tout d’abord être clair sur un point : s’il semble évident que toutes les espèces d’arbres ne sont pas égale en tant que BRF, on ne sait rien ou presque au sujet desquelles sont les meilleures et desquelles sont à éviter !
De nombreuses hypothèses circulent, en voici quelques unes :
Préférer les espèces « climaciques » :
C’est là une des hypothèses favorites du Pr Lemieux. Les espèces dites « climaciques » sont celle qui s’installe à la fin de la succession écologique et une fois ce stade atteint, la composition spécifique n’évolue plus ou peu. Ce concept demeure toutefois très théorique et il n’est pas toujours si évident de dire si un écosystème donné représente ou non un « climax ».
Dans la pratique, on assimile souvent espèces climaciques à espèces forestières à bois dur telles que le chêne, le châtaignier, le hêtre… Toutefois de nombreuses espèces à bois dur ont également un caractère pionnier : frênes, merisiers, aulnes, robinier… Ce qui ne facilite pas notre affaire….
Pour étayer cette hypothèse, Gilles Lemieux s’appuie sur des études telles que celle sur la régénération forestière effectuée dans les année 80 et celle sur la culture du seigle en Ukraine. Dans ces études, effectivement, les essences « climaciques » donnaient en effet souvent de bons résultats, toutefois, il difficile d’extrapoler des résultats en régénération forestière au potager ou en agriculture ! Quant à l’étude sur le seigle est effectuée sur seulement une année, de plus comment être sûr que ces résultats sont extrapolables pour d’autres cultures, d’autres sols et d’autres climats ?
Dans le cas de cette étude ukrainienne, on remarque également qu’une des meilleures essences est le robinier, or cette essence, si elle à bois dur n’en est pas moins une espèce pionnière !
En conclusion cette hypothèse me paraît très délicate à utiliser, à la fois parce qu’elle manque de clarté quant aux essences concernée et parce qu’elle n’a jamais été démontrée dans la pratique !

Éviter les bois riches en tanins :
Et voilà qu’une autre hypothèse arrive, exactement contraire à la précédente : éviter les bois riches en tanins (chênes, châtaigniers…) ! Or ceux-ci sont généralement des espèces climaciques… De quoi y perdre son latin !!!
L’hypothèse ici est que les tanins contenus dans le bois inhibent le développement des végétaux… Il est vrai que certains effets dépressifs des BRF peuvent être attribués à des blocages liés aux tanins, mais là encore rien ne valide cette hypothèse. De plus certains utilisateurs de BRF utilisent avec bonheur de telles essences… Je connais même un producteur de BRF (Terre d’Arbre en Indre et Loire) qui fabrique majoritairement des BRF de châtaignier !

Éviter les noyers :
Le noyer contient en effet une substance toxique : la juglone. Toxique, oui mais pour qui ? Pour nous ? Pour les vers de terre ? Les bactéries ? Les plantes ? Intéressons à ces dernières. L’agroforesterie sous les noyers, cela se fait depuis 2000 ans et l’impact sur les cultures est même plutôt positif ! (voir par exemple le site agroforesterie.fr et le livre Agroforesterie : Des arbres et des cultures (1DVD)
de Dupraz et Liagre).
Toutrefois la sensibilité à la juglone semble variable suivant les plantes, le site de l’OMAFRA (Canada) propose une liste de plantes tolérantes et sensibles à ce composé. Cette approche est-elle valable pour un simple apport de BRF ? Pour combien de temps après l’apport ? Là je n’en sais rien et je sais aussi que certains utilisateurs de BRF utilisent le noyer avec succès, alors qu’en est-il réellement ? Affaire à suivre…

Éviter les saules, peupliers, aulnes, troënes, mimosas… :
Dans même lancée on voit fleurir toutes sortes de restrictions sur diverses essences de feuillus, là encore basées sur la présence de tel ou tel composé chimique ou motivé par un échec lié à une de ces essences. Calmons nous, on n’en sais rien et ce n’est pas parce qu’une essence a donné un mauvais résultat quelque part que ce sera pareil chez vous !
Éviter les résineux :
C’est sans doute là l’affirmation la plus répandue et la moins sujette à débat. Elle tire son origine de l’observation par le Pr. Lemieux que les humus sous forêt de résineux sont de qualité biologique inférieure à ceux des forêts de feuillus. Il s’appuie pour cela sur des observation faites au Québec, bien sûr, mais aussi en milieu tropical concluant que cet effet ne dépend pas du climat. De plus, il est vrai les essais en régénération forestière avaient donné de moins bon résultats (dans l’ensemble) avec les résineux. Pour expliquer cela il avance la différence entre la lignine des feuillus et celle des résineux et la teneur élevé chez ces derniers en composés allélopathique (c’est à dire qui inhibe la germination des autres plantes, comme les terpènes, les polyphénols et les alcaloïdes).
Soit, mais d’autres observations tendent à relativiser cela, en voici une liste non exhaustive :
- Certains résineux sont les pionniers de nombreuses successions écologiques et préparent donc le terrain pour les espèces de stade écologique plus mature. Exemples : les garrigues de cade ou les bois de pin d’Alep en milieu méditerranéen, les pinèdes sylvestres en zone plus tempérée et en climat montagnard… Ces écosystèmes pionniers précèdent par exemple la chênaie blanche en milieu méditerranéen, la chênaie-hêtraie ou la chênaie-charmaie en milieu tempéré ou encore la hêtraie-sapinière, voire la sapinière en milieu montagnard. Leur impact sur l’écosystème apparaît donc tout à fait positif : création d’un sol à partir d’un substrat minéral qui favorise l’installation de nouvelles espèces plus exigeantes.
- L’humus sous certaines formation résineuses est semblable à celui trouvé sous des peuplement feuillus voisin. C’est le cas par exemple des humus de type mull sous pin d’Alep en région méditerranéenne. En milieu plus froid, il est vrai les aiguilles mettent du temps à se décomposer et créent des accumulations en surface, c’est vrai, mais les litières de hêtres mettent aussi du temps. Les humus de type moder que l’on trouve dans un cas comme dans l’autre sont-ils si différents l’un de l’autre ? De plus le facteur lumière a lui aussi un impact très important, or un potager, normalement, est plus lumineux qu’un peuplement dense d’épicéa… La formation d’humus acides sous les résineux est souvent due à la conjugaison d’un sol acide à l’origine, d’un climat froid et/ou d’un sol hydromorphe et de l’accumulation d’une litière acidifiante (notez bien qu’il s’agit surtout d’aiguilles, car les BRF de résineux ne sont pas acidifiants, comme le montrent tous les résultats expérimentaux y compris ceux du Pr. Lemieux).
- Et bien sûr, il y a des fadas qui en mettent dans le potager sans constater d’effet dépressif plus intense qu’avec des feuillus…

En conclusion, j’émets des réserves sur la plupart de ces restrictions, et j’aimerai bien en effet en savoir plus sur l’impact réel des substances montrées du doigt (selon les cas la juglone, les terpènes, les tanins…) ou celle de la différence entre lignine de feuillus et lignine de résineux !
En attendant d’en savoir plus, mon invitation est, dans la mesure du possible de mélanger les essences disponibles, ce qui rejoint finalement un conseil maintes fois formulé par le Pr. Lemieux et son équipe.
Et bien sûr si vous avez des expériences à nous partager au sujet des BRF de résineux, de chênes, de châtaigniers, de noyers et autres espèces régulièrement déconseillées, je vous invite à les partager dans les commentaires ci-dessous !